Récemment, je me suis présenté à un nouveau collègue en lui disant que j’étudiais en enseignement de l’histoire et de la géographie au secondaire. Il me répond « ah oui ? j’adore l’histoire ! toi, qu’est-ce que t’aimes le plus en histoire ? moi, c’est les guerres pis toute ». La question est simple, cependant je me suis surpris à hésiter à répondre. Parce qu’à force d’étudier l’histoire, on oublie ce qui initialement nous a poussé à entreprendre l’aventure. Parce qu’à force de s’amuser dans la piscine, on oublie qu’on n’a pas choisi d’y plonger. La question est ouverte, comme je les aime. Je pouvais répondre n’importe quoi, mais je n’ai rien trouvé de mieux que « le christianisme », alors que j’avais passé la journée même un examen dans le cadre du cours Christianisme de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge. Vraiment, pour la profondeur de la réponse, on repassera.
J’ai réfléchi, par la suite, et je me suis rassuré à réaliser que ce n’était pas faute de connaître mes motivations que j’avais hésité à répondre. Non, c’était plutôt parce j’avais été pris au dépourvu et je réalisais que ce que j’aimais de l’histoire a changé au fil du temps. J’ai identifié dans cette situation un clivage, celui des motivations changeantes envers une finalité persistante qui laissent à penser que l’atteinte d’un but dépend presque d’une coïncidence heureuse entre les motivations initiales et celle qui s’installent au fur et à mesure que le projet avance.
Comment choisir ce qu’on ne connaît pas ?
Ce clivage des motivations dans l’atteinte d’un but peut s’illustrer par un parcours scolaire. En s’engageant dans une trajectoire vocationnelle, nul ne peut anticiper l’identité qu’il aura construite au terme du parcours. Au mieux, il en a une vague idée, car une carrière ne peut se choisir qu’à partir de préjugés. Qui pourrait prétendre choisir une carrière d’enseignant en toute connaissance de cause, alors que la formation s’applique à déconstruire les représentations communes de l’école pour intégrer une vision presque holistique de l’éducation en société. Je n’ai pas encore choisi de devenir enseignant, j’ai choisi d’étudier pour le devenir, et c’est à ce terme que je pourrai prétendre exercer un choix. Heureusement, les sciences de l’orientation sont là pour rendre le tâtonnement un peu moins pénible.
L’histoire court vite, trop vite
Comme second exemple, considérons l’histoire comme une discipline difficile à cerner. Le terme histoire a le défaut d’être taxé d’un profond sens commun qui le rend difficile à associer à une science. L’histoire que j’ai choisie d’étudier il y a maintenant quelques années n’a rien à voir avec celle que j’ai au final étudiée. La faute revient à cette histoire universitaire, sectaire selon certains, qui se veut difficile à définir en s’octroyant un prestige méconnu du commun des mortels. J’avais choisi d’étudier l’histoire parce que je m’intéressais vaguement au passé, à la limite étais-je à la recherche d’un divertissement. Je pouvais évidemment aligner des clichés boiteux comme « l’histoire explique le passé pour comprendre le présent » (non pas que ce soit faux, mais assez abstrait et, au fond, peu convaincant) ou encore « il faut se souvenir de notre passé par devoir collectif ». Je comprends peu à peu que l’histoire des sociétés est celle des hommes, mais aussi de l’Homme. Que comprendre le présent implique forcément de comprendre le sien dans toutes les subtilités du quotidien. Concrètement, cela veut dire qu’au-delà des faits et dates, l’histoire donne à un observateur de développer une grille de lecture des événements lui permettant de les envisager dans un contexte toujours plus global. Il n’y a plus de situations banales pour quelqu’un qui s’intéresse à l’histoire. Il n’y a que des événements historiques, de portée différente évidemment, se déroulant en tout temps et partout. Avec ces observations vient la frustration de ne pas pouvoir insérer les événements dans leur ultime contexte, celui de l’humanité, en raison de l’incertitude des suites qu’ils engendrent. L’histoire est donc éphémère en ce qu’elle se déroule sous nos yeux tout en restant parfaitement insaisissable. Voilà ce que j’aime le plus de l’histoire.
Ces deux histoires, celle que j’ai choisie d’étudier à l’aveuglette et celle que j’ai découverte en entreprenant le projet, motivaient deux finalités similaires, sinon identiques. C’est de cette coïncidence que devient possible l’atteinte d’un but, dans ce cas-ci la poursuite des études et l’obtention d’un diplôme.
Au final, cette courte réflexion illustre bien la difficulté de convaincre des individus, particulièrement des jeunes, de s’intéresser à l’histoire. Elle illustre aussi cependant la valeur d’une telle entreprise et les bénéfices qu’elle peut engendrer en faisant des êtres humains qui comprennent leur responsabilité envers le monde dans lequel ils vivent.