Quand on n’a de la technologie qu’un apprentissage fragmentaire

Les babyboomers peuvent sans doute être classés en trois catégories lorsqu’ils sont confrontés à l’informatique : ceux qui suivent, depuis les années 1960, la naissance de l’informatique contemporaine. Ils sont ceux qui ont vu le casse-tête se construire, pièce par pièce. Mais ils sont aussi ceux qui en ont conçu les pièces, ne l’oublions pas. Bill Gates et Richard Stallman ne sont-ils pas des babyboomers, après tout ? La deuxième catégorie est celle des gens passifs qui n’ont toujours vu dans l’informatique qu’un apport un peu luxueux à des méthodes de travail bien éprouvées. Et il y a la troisième catégorie dont je traiterai aujourd’hui : ceux qui se sont réveillés, en 2010, et ont réalisé qu’un ordinateur est plus qu’une dactylo.

Malheureusement, un mince cours d’introduction à l’informatique ne permet pas de s’approprier 60 ans d’évolution technologique. D’autant plus que plus on vieillit, plus l’apprentissage est difficile. Et les capacités cognitives ne sont pas systématiquement en cause. La difficulté vient plutôt des nombreuses expériences de succès dans lesquelles l’informatique n’a rien à voir. Consolidées par le temps ou par l’habitude, ces expériences sont autant de raisons pour résister à l’apprentissage de la technologie. En plus concis : il faut d’abord convaincre une personne du bien-fondé d’un savoir-faire avant d’espérer qu’elle ne puisse l’acquérir. J’explorerai d’abord les façons par lesquelles les néophytes sont introduits à l’informatique. Ensuite, je suggérerai des pistes de solution aux lacunes observées.

L’apprentissage fragmentaire

Comment se fait l’apprentissage de l’informatique pour les adultes néophytes ? Je répondrai à cette question par une brève étude de l’offre de cours d’introduction à l’informatique dans mon quartier. Déjà, le principe de ces cours pose un paradoxe primaire : apprendre l’informatique dans une classe physique, c’est un peu comme apprendre à skier dans la rue. L’informatique s’apprend dans un environnement virtuel. Bon, je vous l’accorde cependant : une amorce est nécessaire et, à ce titre, le cours d’informatique du quartier peut être pertinent. Tout dépend de ce qu’on y apprend. Voyons voir…

Mes sources sont des organismes sans but lucratif qui offrent des initiations à l’informatique : le Service d’entraide de Pintendre, l’organisme Apprendre Autrement et la FADOQ.

Avant d’exposer la synthèse que je fais de ces cours, je tiens à préciser qu’en aucun cas il n’est question de les ridiculiser (au contraire, remercions-les de contribuer à initier tant de gens à l’informatique).

Les savoirs rudimentaires

D’abord, les plans de ces cours nous rappellent la base en informatique : mettre en marche l’ordinateur. Prenons ce savoir tacite, simple à priori, pour illustrer la différence entre la connaissance et la compétence.

La connaissance derrière la mise en marche d’un ordinateur, c’est de savoir où appuyer pour le mettre en marche.

La compétence, c’est à la fois de savoir qu’il existe des conditions pour que l’ordinateur se mette en marche (il doit y avoir une source d’alimentation, batterie ou prise de courant), de savoir qu’il existe un interrupteur de mise en marche et d’avoir le réflexe de le rechercher.

Oui, grand-maman, qui pourtant a suivi ce cours avec un ordinateur portatif, ne saura peut-être pas comment mettre en marche une tablette ou un téléphone portable. Ou peut-être ne pensera-t-elle pas à vérifier si l’ordinateur est branché si l’interrupteur ne donne pas de résultat. La solution pourrait être de donner en exemple deux appareils dont la mise en marche diffère légèrement, puis de donner comme défi de mettre en marche un troisième ou quatrième appareil. Là, on parle vraiment d’une logique en développement.

Les logiciels incontournables

Ces cours ciblent rapidement l’utilisation de logiciels comme Microsoft Word, Excel, Internet Explorer, Photoshop, etc. Avec l’étude de logiciels, le risque est grand d’entrer dans l’apprentissage spécifique peu réutilisable. Et d’ailleurs, c’est probablement ce qui se produit. Parce que quand on saisit les constantes et la continuité dans le fonctionnement des logiciels, il n’est pas nécessaire d’avoir un cours de 20 heures pour chacun des logiciels que sont Word, Excel, Powerpoint, Outlook, Internet Explorer, etc. C’est d’ailleurs ce que je considère comme un apprentissage fragmentaire : au lieu de comprendre les principes directifs de l’informatique, on s’acharne à emmagasiner un maximum de connaissances techniques d’une précision difficile à égaler : pour imprimer, je dois cliquer sur le logo d’imprimante. Si, un jour, je ne vois pas le logo d’imprimante, je conclus qu’il est impossible d’imprimer le document ?

Solution : stimuler l’apprentissage autonome par des indices

On préfère d’un chirurgien qu’il ne découvre pas le corps humain par essais et erreurs au moment d’une opération. L’expérimentation en informatique, pour sa part, a l’avantage de ne mettre aucune vie en danger. D’où l’intérêt d’explorer par soi-même, sans risquer grand-chose au fond.

La solution pour aider un néophyte à apprendre l’informatique est de stimuler son désir d’explorer. Par exemple, l’apprentissage d’un logiciel de traitement de texte peut se faire par un survol de ses fonctionnalités. Ensuite, c’est à l’apprenant de tenter de les repérer dans le logiciel. Il sait qu’elles existent, à lui de les trouver.

Ne nous méprenons pas : il n’est pas question de réinventer la roue et de redécouvrir par soi-même absolument tout ce que d’autres peuvent nous apprendre rapidement. Il est plutôt question d’apprendre à apprendre, de développer un réflexe de découverte autonome, et ce, à un moment crucial dans l’apprentissage de l’informatique : l’initiation. Une fois cette méthode acquise, rien n’empêche un utilisateur de suivre des tutoriels ou de chercher précisément la démarche pour, par exemple, paginer un document. D’ailleurs, cette habitude de rechercher une démarche sur Internet avant de se référer à quelqu’un d’autre fait, à mon sens, partie de ce réflexe d’autonomie.

Conclusion

En conclusion, les adultes néophytes ne sont pas moins aptes à utiliser l’informatique que n’importe qui. C’est simplement que leur bagage d’expériences ne les conduit pas naturellement à explorer les possibilités de l’informatique. Les cours d’initiation ne sont pas inutiles, loin de là, mais à mon avis, ils passent à côté d’un élément essentiel à l’apprentissage : le sens. Convainquons d’abord les néophytes de l’intérêt de l’informatique et, ensuite, aidons-les à développer une logique d’appropriation des outils qui les rendra autonomes.