La familiarité en classe

C’est lundi, les élèves du groupe 215 entrent en classe. L’enseignante les salue tous individuellement, au loin, en les interpellant par leur nom dans le vacarme d’avant la cloche. Le cours débute par une question : « qui a eu des matchs en fin de semaine ? ». La question est simple, pourtant je n’y aurais pas pensé. Certains se dépêchent à répondre, d’autres s’obstinent sur le pointages des matchs. L’enseignante s’enquiert également des nouvelles des filles qui jouent au volleyball. Trois minutes : c’est là tout ce qu’il aura fallu pour les garder calmes tout au long de la période. Le comportement familier de l’enseignante envers ses élèves est un pari risqué : elle tente de maintenir avec eux un rapport d’égal à égal dont certains élèves pourraient vouloir abuser. Pourtant, les rappels à l’ordre sont fréquents et les élèves affichent beaucoup de respect envers leur enseignante. Elle a donc réussi l’amalgame de l’autorité et de l’amicalité. La démarche est difficile, mais la relation qu’elle entretient avec ses élèves en vaut nettement l’effort.

Justification de l’enseignante

Je dois d’abord préciser qu’à cette école secondaire, les élèves sont pratiquement tous inscrits à des profils particuliers. Beaucoup pratiquent un sport de façon régulière, d’autres s’adonnent à toutes sortes d’activités comme la musique, les arts, etc. Le sentiment d’appartenance à l’école est donc particulièrement développé et l’ambiance familiale est palpable. Cette pratique de l’enseignante, qui consiste à s’informer de ce qui s’est passé pendant la fin de semaine, s’inscrit parfaitement dans le projet de l’école.

Questionnée sur cette pratique, l’enseignante explique que les élèves veulent en parler. Plus encore, qu’ils vont en parler. Aborder le sujet des matchs le lundi matin permet donc d’épuiser le sujet avant que ne commence le cours. En s’intéressant à eux ainsi, elle légitime l’attention qu’elle exige d’eux pour le reste du cours : après s’être intéressée à eux, c’est à eux de s’intéresser à ce qu’elle a à dire. Cette entente entre elle et les élèves est très implicite, mais assez bien réussie.

Le double rôle des enseignants

Selon le Ministère de l’Éducation, du Loisir et des Sports, l’enseignant a trois rôles : socialiser, éduquer et instruire. Je m’intéresserai ici aux rôles de l’enseignant sous un angle différent : le rôle qu’il joue auprès des adolescents, et celui qu’il joue dans la société. Ainsi, les adolescents ont des attentes envers leur enseignant, tout comme la société qui le mandate en a.

Au Québec, l’école secondaire coïncide avec la période de l’adolescence pour la plupart des jeunes. Cette période en est une de profonds changements physiques, physiologiques et émotifs. Les conditions ne sont pas toujours optimales pour apprendre, et c’est à l’enseignant de créer un contexte favorable dans sa classe. Pour y arriver, il doit être attentif aux élèves et à leurs besoins. C’est précisément à ce niveavu que la démarche de l’enseignante s’inscrit. L’enseignant doit valoriser les élèves, alors qu’ils sont à un stade où ils prennent peu à peu conscience de leur individualité et de leur pouvoir d’action personnel. L’identité des adolescents est en pleine construction, et c’est par leurs succès et échecs qu’ils définiront qui ils sont et de quoi ils sont capables. La valorisation et la reconnaissance de l’implication des élèves contribuent à la construction de leur identité.

Le développement d’une relation de confiance avec les élèves est selon moi un devoir pour l’enseignant, même si ce dernier doit risquer la sympathie (au sens philosophique du terme). L’attachement émotionnel qui s’établit entre les élèves et l’enseignant est la concrétisation de l’attachement d’une société envers ses membres : l’enseignant est mandaté par l’ensemble de la communauté pour s’intéresser aux élèves et être un guide dans leur développement. Je l’ai bien observé lorsque des enseignantes, visiblement attristées, discutaient d’un de leurs élèves qu’elles avaient aperçu dîner seul à la caféteria. C’est de cette préoccupation qu’apparaissent des solutions qui font primer l’intérêt de l’adolescent.

L’enseignant doit également répondre aux attentes de la société qui le mandate. Dans ce cas-ci, la familiarité de l’enseignante envers ses élèves contribue fortement à socialiser les élèves. La relation de confiance qu’elle développe crée un climat où les élèves sont à l’aise de s’exprimer. Elle donne également la parole à ceux qui osent moins parler. La classe devient donc un laboratoire, pour les élèves, où ils sont libres d’interagir comme ils veulent. Ils sont par la suite confrontés aux réactions de leurs pairs et de leurs enseignants : approbation, rires, incompréhension, etc. C’est par cette alternance entre interactions et réactions que les adolescents apprenennt comment bien s’intégrer au groupe. L’intervention de l’enseignant est essentielle pour baliser ces situations au regard des attentes sociales qui lui sont attribuées.

En conclusion

Pour conclure, je répéterai que la familiarité a un rôle très important. Comme j’ai pu l’observer dans la situation décrite, elle permet un rapprochement qui suscite le respect des élèves. Cette familiarité se substitue partiellement à une approche autoritaire répressive. Mais attention : j’aurais normalement rejeté le concept de familiarité entre un enseignant et ses élèves. Dans ce cas-ci cependant, l’enseignante est d’abord actrice et ne s’ouvre pas véritablement à ses élèves. Cette approche n’est pas improvisée et un enseignant en contrôle sait l’utiliser sans tomber dans le piège des rapprochements qui font de lui l’ami de ses élèves.

Adapté d’un compte rendu d’observation que j’ai fait lors d’un stage à l’automne 2013.